La crise de l’eau en Égypte et la dégradation du Nil

L’Égypte peine à gérer les pénuries d’eau et la production alimentaire. D’ici 2025, l’approvisionnement en eau de l’Égypte par habitant et par an devrait chuter de 600 m3 à 500 m3, ce qui correspond au seuil absolu de pénurie d’eau selon l’ONU. L’Égypte ne dispose que de 20 m3 de ressources intérieures en eau douce renouvelables par personne, ce qui entraîne la forte dépendance du pays vis-à-vis du Nil en tant que source d’eau principale.

Degeneration of Nile

La pénurie d’eau s’est tellement aggravée qu’on observe plusieurs jours sans eau dans certaines zones du pays, avec un retour des pressions ne durant parfois que quelques heures par semaine. Le pays doit agir sans tarder.

L’agriculture

L’agriculture contribue à environ 15 % du PIB de l’Égypte et représente 32 % de la main-d’œuvre, le riz étant la principale production agricole du pays. Le riz fait partie intégrante de l’alimentation d’une famille égyptienne. Cependant, la culture du riz consomme de fortes quantités d’eau. La production d’un kilo de riz nécessite environ 3 000 L d’eau en moyenne. Ce nombre varie en fonction du climat, du type de sol et des techniques de gestion de l’eau.

Dans certaines zones spécifiques du delta du Nil, le gouvernement a réduit la superficie de la surface allouée à la culture du riz à 400 000 ha (les agriculteurs pouvaient auparavant utiliser la majorité du delta du Nil). Le gouvernement a même eu recours à certaines mesures radicales, telles que l’utilisation de mélanges incendiaires sur les rizières cultivées en dehors de la zone affectée. Cette mesure a suscité l’indignation et des manifestations de la part des agriculteurs, qui objectent que la zone allouée ne suffit pas à subvenir à leurs besoins. De telles tensions causées par le manque d’eau furent l’un des éléments déclencheurs du Printemps arabe entre 2011 et 2012.

Afin d’apaiser les tensions et l’agitation populaires, le gouvernement tente d’augmenter l’approvisionnement en eau à travers la réutilisation des eaux usées traitées agricoles et municipales pour l’irrigation des cultures. Cependant, la mise en place de telles initiatives est trop lente pour faire face à l’augmentation de la demande.

Le gouvernement doit appliquer de nouvelles méthodes d’irrigation à travers le pays (les agriculteurs dépendent toujours fortement de l’irrigation par déversement et par canal dans le delta du Nil), ainsi que des techniques agricoles intelligentes, telles que l’utilisation de cultures moins exigeantes en eau. En ayant recours à des cultures moins gourmandes en eau, l’on pourrait considérablement réduire la quantité d’eau utilisée dans l’agriculture et contribuer à l’augmentation de l’approvisionnement en eau.

La pollution du Nil

Le rôle vital joué par le Nil en Égypte remonte au moins au temps des pharaons. Pourtant, malgré son importance pour les égyptiens, les eaux du plus grand fleuve au monde sont polluées par diverses sources, avec une augmentation exponentielle des niveaux de la pollution ces dernières années.

La dégradation du Nil est un problème souvent sous-estimé en Égypte. De nombreux habitants dépendent du Nil à des fins de consommation, d’agriculture et d’usage municipal. La qualité de l’eau devrait donc être une priorité. Les eaux sont principalement polluées par des rejets municipaux et industriels. On observe de nombreux incidents de fuite d’eaux usées, de dépôt de carcasses d’animal et d’émission de déchets industriels chimiques et dangereux dans le fleuve du Nil.

Les déchets industriels mènent à la présence de métaux (notamment de métaux lourds) dans l’eau, ce qui pose un risque significatif non seulement pour la santé humaine mais aussi animale, ainsi que pour la production agricole. Nombre de poissons meurent empoisonnés en raison des taux élevés d’ammoniaque et de plomb. La qualité et la quantité de la production agricole sont touchées par l’utilisation d’eaux non traitées à des fins d’irrigation, car les bactéries et les métaux présents dans l’eau nuisent à la croissance des produits végétaux, surtout dans le delta du Nil où la pollution est plus élevée.

canal-nile-trash

River Nile is commonly used for dumping of household trash

Naturellement, la pollution du Nil est un problème complexe vieux de plus de 30 ans, que le gouvernement tente de contenir par la mise en place de règles plus strictes sur la qualité et le type de déchets et d’eaux usées déversés dans le fleuve. Cependant, des mesures de nettoyage du Nil rapides et concrètes s’imposent, comme le traitement des eaux usées avant leur évacuation, et la mise en place de restrictions plus fermes pour une élimination des déchets industriels sûre et responsable. La question ne peut être ignorée plus longtemps, car la hausse continue de la population se reflétera sur la demande en eau, dont les ressources du pays s’amenuisent. Chaque goutte compte.

Le barrage du Nil Bleu

La construction d’un barrage et d’une centrale hydroélectrique en amont du fleuve par l’Éthiopie constitue un autre défi qui pourrait bien diminuer la part égyptienne du Nil. Depuis quelque temps, l’Égypte est particulièrement préoccupée par la construction du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD) dans le bassin versant du Nil Bleu, une des sources principales du Nil.

Le barrage de la Renaissance, dont la construction a débuté en décembre 2010, peut contenir 74 à 79 milliards de m3 et générer 6 000 mégawatts d’électricité par an. Il s’agit d’une préoccupation majeure pour l’Égypte, qui craint que le barrage ne réduise la quantité d’eau (55,5 milliards de m3) qui lui parvient du Nil. Le GERD risque de libérer un débit d’eau insuffisant lors de la saison sèche, réduisant ainsi la quantité reçue en aval. Les tentatives égyptiennes de pallier les pénuries d’eau durant cette période se retrouveront fortement entravées.

Pollution of Nile River

Industrial pollution is wrecking havoc in Nile

Plus tôt dans l’année, l’Égypte, l’Éthiopie et le Soudan ont confié à deux entreprises françaises la rédaction d’un rapport sur les conséquences du barrage dans les trois pays. Ce rapport clarifiera les effets du barrage sur les pays situés en aval. Les résultats du rapport n’ont pas encore été rendus publics.

Conclusion

En cas de maintien du scénario actuel, l’Égypte risque de se retrouver en situation absolue de pénurie d’eau d’ici dix ans. Le pays devra ainsi lutter afin de garantir des conditions adéquates à sa population. À l’instar de nombreux autres pays qui manquent d’eau, l’Égypte doit atténuer la pénurie par la mise en place de techniques intelligentes de conservation de l’eau, par l’adoption de technologies économes en eau et par le contrôle de la pollution de l’eau.

Avec la hausse prévue de la sécheresse et des canicules dans la région MENA, l’Égypte ne peut se permettre de négliger ses politiques de conservation de l’eau. Elle doit prendre des mesures immédiates afin de répondre aux besoins en eau de la population.

Références

https://www.ecomena.org/egypt-water/

https://planetearthherald.com/egypt-faces-water-crisis-the-end-of-the-nile-as-we-knew-it/

https://www.theguardian.com/world/2015/aug/04/egypt-water-crisis-intensifies-scarcity

https://english.alarabiya.net/en/views/news/middle-east/2016/04/30/Egypt-must-preserve-its-lifeline-by-tackling-the-water-crisis-now.html

https://www.presstv.com/Detail/2016/06/14/470358/Egypt-water-crisis-street-protests-Dakahlia-North-Sinai

https://phys.org/news/2016-04-egypt-avert-crisis-driven-demand.html

https://tcf.org/content/report/egyptian-national-security-told-nile/

https://ecesr.org/wp-content/uploads/2015/01/ECESR-Water-Polllution-En.pdf

https://www.ukessays.com/essays/environmental-studies/water-pollution-in-egypt.php

https://www.knowledgebank.irri.org/ericeproduction/III.1_Water_usage_in_rice.htm

https://phys.org/news/2010-11-rice-production-withers-egypt.html

https://www.juancole.com/2016/06/conflict-ethiopias-renaissance.html

Translator: Cécile Lamhene

Cécile Lamhene est une traductrice indépendante de l’anglais vers le français. Après un master en traduction juridique, économique et technique à l’université de Lille, elle se spécialise dans le développement durable dans la région MENA et s’intéresse entre autres à l’agriculture, à l’élevage, à l’ingénierie, à l’énergie et à la gestion de l’eau.

Note: The original English version of the article is available at this link.

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About Amir Dakkak

Amir Dakkak, a Palestinian from East Jerusalem, is an Environmental Scientist at AECOM. His main passion is water scarcity and water sustainability in the MENA region. He runs the blog Water Source that addresses water problems and sustainability. Amir has worked with Emirates Environmental Group on various environmental issues including water scarcity.

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